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Témoignage de Sandrine, accueillie à la Communauté Thérapeutique d'Aubervilliers

Ce témoignage, retranscrit dans son authenticité, a été recueilli en mars 2024.

 

Je suis arrivée à la communauté thérapeutique (CT) le 9 janvier 2023

Un jour, j’étais tellement dans la conso, en train de me détruire, que j’ai dû être hospitalisée d’urgence, pendant 2 mois. Une amie m’a mise en relation avec un homme qui était à la communauté thérapeutique d’Aubervilliers, et qui est venu me voir à l’hôpital toutes les semaines. Il m’a dit « ce serait bien que tu fasses l’expérience de la CT ». C’est lui qui m’a aidée à avoir un dossier pour la communauté thérapeutique.

Ça a été compliqué pour moi, au début, la communauté. J’avais tellement consommé et reconsommé que j’avais des problèmes cognitifs et physiques, je n’arrivais plus à marcher. Je n’arrivais plus non plus à avoir une discussion, parce que j’oubliais tout ce que je voulais dire, je commençais une conversation et je ne savais plus ce que je voulais dire.

J’étais terrifiée, aussi. J’avais l’impression que je n’allais pas pouvoir rester, parce que je n’arrivais pas à communiquer avec les autres, les résidents et les professionnels. Je pensais que j’allais partir. J’ai fait beaucoup de structures, je suis toujours partie, je n’ai jamais fini quelque chose, ou sinon j’ai été renvoyée, ça n’a jamais été jusqu’au bout.

Et je me suis dit « 13 mois, je ne vais jamais y arriver... ». J’avais les émotions complètement gelées, je ne ressentais rien. Ca a duré comme ça les 3 premiers mois.

J’allais aux groupes, c’est obligatoire. J’avais peur. Aux groupes de vie communautaire 3 fois par semaine, j’essayais de me cacher dans mon fauteuil pour ne pas qu’on me confronte, pour ne pas qu’on me voie. A table aussi, c’était compliqué, les gens discutaient entre eux, moi je n’y arrivais pas.

 

« Mais affirme-toi ! »

Un jour il y a eu un cours didactique sur des sujets qui touchent la dépendance. Ce jour-là, comme d’habitude j’étais assise et je ne parlais pas. Le counselor est arrivé vers moi, comme s’il voulait s’asseoir sur moi. Je n’ai rien dit, il m’a dit « Mais affirme-toi ! ». La semaine d’après, il a recommencé, et là, je lui ai dit « Non ! Arrête ! Stop ! ». Il était entré dans mon périmètre de sécurité. Et il m’a dit « Voilà, affirme-toi, c’est ça que je veux ! »

Du coup, il s’est passé quelque chose. Je me suis dit « Il faut que je fasse confiance, je vois que les gens se rétablissent ». Il y avait d’anciens résidents qui revenaient à des groupes et je voyais qu’ils avaient du clean, qu’ils s’en sortaient, qu’ils travaillaient. Et je me suis dit « moi aussi, j’y ai droit. Je ne suis pas qu’une toxicomane. »

Je me suis dit « Sandrine, il faut que tu te fasses confiance, ça peut marcher, essaie ! ».

Ce jour-là, c’est comme si je m’accordais ce droit de me rétablir. Il y avait des gens ici qui étaient là pour m’aider. J’ai commencé à participer aux groupes, à parler de moi, à parler beaucoup de moi, même. Ca a été le jour et la nuit, en fait.

 

Là, tout a commencé

Je n’avais plus confiance en l’humanité. J’avais du mal avec mes collègues de chambre, je ne parlais pas trop. J’avais du mal avec les femmes, parce que dans mon parcours, ça a été compliqué avec les femmes ; ça a été compliqué avec les hommes, parce que j’ai subi de la violence et des abus. Je n’avais plus confiance en personne.

Et donc, là, j’ai commencé à faire confiance, et ça s’est dégelé, en un mois. J’ai commencé à rigoler, à pleurer. J’ai beaucoup pleuré, beaucoup beaucoup, dans les groupes de counseling où on parle de nos conso-conséquences ; j’ai réussi à dire des choses qui étaient lourdes.

Ça m’a fait du bien. C’est des choses que je n’avais jamais partagées dans ma vie et j’ai trouvé un endroit où je pouvais parler de tout ça, sans être jugée, surtout. Et avec de la bienveillance de la part des autres résidents et des professionnels.

J’ai eu un counselor qui m’a beaucoup aidée. Je n’ai pas connu mon père et j’ai fait un peu un transfert, je le voyais comme une image paternelle.

Et mon parcours, après, ça a été ça : partager, dire ce que je ressentais, dire quand je n’étais pas d’accord. L’affirmation de soi.

J’ai appris aussi à déposer, ne pas garder tout en soi. Parce que ça peut être vite compliqué d’accumuler. Maintenant je fais très attention à tout ça. C’est mon rétablissement : je ne prends plus les choses à la légère.

On a des axes à travailler quand on est en phase 2, l’affirmation de soi, l’honnêteté, la bonne volonté, l’ouverture d’esprit. Faire confiance.
Et tout ça, ça m’a beaucoup aidée.

 

Tout ça, je l’ai réparé ici

Je ne savais plus qui j’étais, sans la conso.
J’ai consommé pendant plus de 30 ans. J’ai commencé très tôt, par l’alcool, et après ça a été la cocaïne et le crack. J’étais polytoxicomane et pharmacodépendante.

Ce qu’il s’est passé ici, c’est que je découvrais une personne avec qui je n’avais jamais été en contact, et c’était moi.
Je me suis dit « je ne suis pas qu’une saloperie ».

Parce que j’ai fait quand même des choses pas très sympa, dans la conso, avec les gens. Je ne respectais plus personne, je n’avais plus de valeurs, j’avais rejeté ma famille, je n’arrivais plus à m’occuper de mon fils – parce que j’ai un enfant qui va avoir 30 ans.

Et tout ça, je l’ai réparé ici.

J’ai recommencé à voir ma maman.
Il y a eu une « journée familles ». Mais j’ai fait le choix de ne pas la faire venir : j’ai fait venir mon fils et j’ai beaucoup appris. Je pensais que j’avais été une mauvaise mère et qu’il avait du ressentiment. J’étais loin de m’imaginer que malgré qu’il m’ait vu consommer, malgré le fait que je me sois prostituée et qu’il ait eu honte à une époque que je sois sa mère parce qu’il y avait tout ça, il m’a quand même dit qu’il n’avait pas de ressentiment, et que s’il en était là où en est – parce qu’il a réussi dans la vie – c’est aussi parce que je lui avais inculqué de bonnes valeurs.

J’étais loin de m’imaginer qu’il pensait tout ça. Ca m’a fait beaucoup de bien qu’il vienne.

Il a vu qu’ici, il se passait des choses. Quand il est venu, j’avais un an de clean. Là, je vais avoir 17 mois. C’est la première fois.
Et je pense que ça, il l’a vu aussi.

Et ça, c’est des cadeaux du clean, et c’est tout le travail qui est fait à la communauté thérapeutique. J’ai des frissons, parce que c’est vraiment une belle expérience. En fait, ici, on ne fait pas qu’être clean, on se rétablit, on se répare.

 

Maintenant, avoir des émotions

Moi, maintenant, j’arrive un peu à m’aimer. Pas encore à 100 %, mais j’apprécie la personne que je suis, qui est soucieuse des autres. Ici les résidents m’ont beaucoup vue comme une maman. Quand il y avait des sculptures familiales (on prend des résidents pour jouer des rôles de membres de leur famille), j’ai souvent été la maman – et je crois que j’ai participé à toutes les sculptures !
C’est marrant parce que c’est un rôle que, dans la conso, je n’avais du tout.
Ca me touchait.
A la fin de la CT, on m’a dit que j’étais soucieuse des autres, que j’étais très douce – alors que j’étais un monstre dans la consommation ! Et ça, c’est plutôt cool que les gens me voient comme ça. Moi aussi, maintenant je me sens un peu comme ça.

Aussi, maintenant, avoir des émotions : j’arrive à rigoler, je pleure, je suis en contact avec mes émotions, et ça c’est nouveau, aussi, ça fait du bien.

Je vais au CSAPA Ménilmontant une fois par semaine, pour un suivi avec l’éducatrice et l’infirmière.
Et je vais deux fois par jour en réunion aux Narcotiques Anonymes. J’ai commencé à aller à leurs groupes de parole en étant à la CT. C’est pareil, j’avais du mal à y aller, je ne partageais pas, j’écoutais beaucoup. De fil en aiguille, j’y suis allée un peu plus souvent et j’ai adhéré à ce programme.
Je suis aussi suivie au CSAPA d’Aubervilliers pour le psychiatre et l’addicto.

Tout ça, c’est grâce à ici, aussi.

 

Partir par la grande porte

J’ai passé 14 mois à la communauté thérapeutique et puis j’ai fait mes lettres de motivation pour un appartement thérapeutique. Je l’ai eu un mois et demi après.
Et c’était le moment : malgré tout ce qui s’est passé ici et la gratitude que j’ai eue de passer par la CT, j’ai senti qu’il fallait y aller. J’avais hâte d’y être, j’étais contente de partir de la CT par la grande porte.

Tous les 15 jours, je reviens, pour les groupes extérieurs : les anciens viennent parler de leur expérience à l’extérieur.
Pour moi, c’est important, pour ne pas couper net, et aussi parce que je suis reconnaissante.

Ce n’est pas envisageable pour l’instant de ne plus revoir les gens. Il faut que je coupe le cordon avec la CT, mais je sais que je repasserai de temps en temps, parce que c’est comme une famille, ici. Par rapport aux autres structures que j’ai faites, ici, on se sent vraiment chez nous, on vit tous ensemble.
Et puis le groupe est très important, au-delà des thérapeutes c’est vraiment avec le groupe qu’on se rétablit.
Il y a de l’identification, il y a des confrontations, des fois ce n’est pas facile ! Des fois il y a des choses dures, mais on se dit les choses, on en parle pendant le groupe, et après on passe à autre chose.

 

Des choses à donner

Je voudrais faire une formation de moniteur-éducateur. J’ai été animatrice avec des enfants en difficulté ; j’ai été auxilliaire de vie scolaire auprès d’enfants handicapés : je veux continuer dans un truc d’aide.

Je voudrais aussi voir si je ne peux pas faire quelque chose dans le domaine de la pair-aidance, auprès de femmes. Par ce que j’ai vécu, je pense que je peux aider des femmes.

Ici, on a eu un groupe femmes qui a été très important : les femmes, je suis réconciliée avec elles, je me suis aperçue que je pouvais être en lien avec elles sans qu’il y ait un truc compétitif ; je peux avoir de l’affection, de la compassion, de la bienveillance.

Travailler avec des hommes, même si l’image de l’homme a changé pour moi, ça reste encore un peu compliqué. L’homme est encore associé à la consommation et au sexe. C’était lié, dans ma consommation. Donc pour moi, c’est encore un terrain assez compliqué.

Je pense que j’ai des choses à donner, parce que je me réconcilie aussi avec l’image que j’avais de moi.

Quand je consommais, je pensais que j’étais cette personne, que j’étais tout ça : une toxicomane, une prostituée, que j’étais méchante, … Je pensais que c’était moi, tout ça. Aujourd’hui, ce n’est plus du tout ça. Je consommais aussi parce que j’étais malheureuse. J’ai beaucoup consommé sur l’apitoiement.
Maintenant, j’ai compris que je n’étais pas forcément cette personne : il ne faut pas que j’oublie que je prenais des produits, et que les produits, ça modifie.
Et au bout d’un moment, quand on consomme depuis des lustres, il faut se protéger ; donc moi, je me suis créé ce personnage-là, qui n’était pas gentil.
Maintenant, je vois que je peux être quelqu’un d’autre.

Quand j’ai commencé à me rétablir, ici, au début j’ai voulu tout mettre sous le tapis. Tout ce que j’étais avant, je ne voulais plus en parler ni en entendre parler. Du coup, il y a des choses comme la prostitution, les abus, dont je ne voulais pas parler. C’est des choses dont j’avais encore honte. Les abus, je me sentais encore responsable, je me disais que c’était de ma faute.
A la CT, ça m’est revenu en pleine figure. Je me suis dit « Mais en fait, je ne peux pas oublier qui j’étais ; il faut vraiment que je sois OK avec qui j’étais, il ne faut pas que j’oublie d’où je viens ». Mais pendant un moment, j’ai voulu oublier. Maintenant, ce sont des sujets dont je peux parler.

 

Ce projet et tout ce que j’arrive à faire en ce moment, ma façon de vivre, c’est vraiment parce que je suis passée à la communauté thérapeutique.
Je me permets de dire ça, parce que j’ai fait 11 structures avec hébergement. Des cures, des post-cures, … J’ai ce point de comparaison, je me dis que ce qu’il se passe ici, c’est unique.

Ici, j’ai appris à vivre. Pas à revivre, parce qu’en fait, j’ai l’impression que je ne vivais pas, avant. Je n’avais pas de vie. C’était la conso, et je croyais que je finirais comme ça, avec la conso. Je ne savais pas que c’était une maladie.
Je pensais que j’avais du vice, mais ici, j’ai appris que c’était une maladie.
Parce que quand on est en cure, post-cure, ils nous soignent par des médicaments, mais le travail proposé, il est loin d’être comme ici, en fait. J’ai fait des thérapies comportementales cognitives, ça ne marchait pas, mais vraiment, ici, ce que j’ai appris, c’est à vivre. A vivre, à me réconcilier avec plein de choses.

C’est incroyable, tout ce qui s’est passé en 14 mois. Et si aujourd’hui je suis capable d’en parler comme ça, sans produit, alors qu’il y a 14 mois je ne parlais pas, c’est un miracle.

C’est un miracle et moi, je suis heureuse aujourd’hui.

Pour l’instant, je n’ai pas de petit ami ; je fais très attention, parce que je sais que l’affectif, ça pourrait me faire rechuter. Donc j’ai la vie que je veux, et je me préserve, parce que je sais maintenant ce qui est dangereux pour moi. Peut-être qu’un jour j’aurai quelqu’un dans ma vie, mais pour l’instant, ce n’est pas le moment.
Ca me manque, bien sûr ! J’aimerais bien avoir quelqu’un, des fois, de l’affection… Mais l’affection, je la trouve ailleurs.

Ici, c’est une incroyable expérience.

Avant je n’avais pas de vie et je pensais que toute ma vie serait comme ça. Je remercie vraiment la personne qui est venue me voir à l’hôpital.

Les deux choses qui m’ont sauvé la vie et qui me sauvent encore aujourd’hui, c’est la CT et Narcotiques Anonymes. Et c’est pour ça que je ne peux pas couper, là, avec la communauté, et je ne peux pas arrêter les réunions.
Je suis heureuse. J’ai des amis, j’ai mon fils, j’ai ma maman. Il y a encore des choses que je n’ai pas : je ne vois plus mes demi-frères depuis 6 ans, je n’ai pas vu mes neveu et nièce depuis leur naissance il y a 6 ans, mais je pense que ça va se rétablir. Si je reste clean. Avant-hier, j’ai fait un rêve de conso ; quand je me suis réveillée, je croyais que j’avais foutu ma vie en l’air. J’ai mis quelques minutes avant de me dire « Mais Sandrine, tu n’as pas consommé ?! ».
Je l’ai partagé en réunion. J’ai ça, en fait : maintenant je partage tout ce qui m’arrive.

 

Des rêves et des projets

Il y a ça, aussi, c’est que maintenant j’ai peur. Avant je n’avais peur de rien, je pouvais me trimbaler à des heures pas possibles dans les rues, complètement défoncée, maintenant j’ai peur. Maintenant, le soir, j’ai peur. La peur, aussi ; c’est un moteur pour moi. Et tout ça, je l’ai appris aussi.

En fin de parcours à la CT, la dernière question, c’est « quels sont vos rêves ? ». Moi je n’ai jamais voyagé plus loin qu’en Europe, et mon rêve c’est d’aller à Bali avec mes copines – dont une, avec qui j’ai partagé la chambre ici, on est très très amies.

Mon rêve aussi, c’est de faire un métier qui m’épanouit. Je pourrais faire un travail alimentaire, mais je n’ai pas envie. Je galère, financièrement, mais bon, ce n’est pas grave. Je fais attention à ce que j’achète.

Et puis mon rêve, aussi, c’est de rester clean, de ne plus consommer.

Et puis je suis alignée, aujourd’hui. Je suis alignée.

C’est vrai, des fois, il y a des petits moments difficiles, mais ça passe. C’est rien, à côté d’avant : j’ai consommé à 14 ans, jusqu’à mes 47 ans et demi. J’ai consommé pendant 33 / 34 ans, c’est énorme. Je me dis « ça me coûte quoi, en fait, dans ma journée, d’aller à 2 réunions par jour ? ». Et puis ici, c’est une famille.

Maintenant, j’ai envie que tout aille vite !